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  • paulhombeline

Perroquet.


C’est le perroquet qui m’a réveillé.

Il chantait la carmagnole : Ah ça ira ! ça ira !… quel abruti ce perroquet. Lui aussi semble voir ce que je vois, et garde un putain de moral comme moi. On doit être fort lui et moi somme toute et déduite de tout. S’il n’avait une crête lapis-lazuli avec des touches délicates d’orangé, des prunelles que l’on dirait taillées dans le feu liquide qui courut sous les mondes d’avant l’homme, le bec mauve clair au-dessus d’une gorge obombrée, ce léger poitrail bleuté tombant sur un arc-en-ciel de plumes, des serres jais comme le Léthé – en fait de perroquet, c’est un véritable mutant, une espèce improbable que m’a offert ce vieil ami venant du Japon – … il y a tragique lurette qu’il aurait passé par la fenêtre, à la vitesse cinétiquement accrue d’un bon coup de pied dans le fondement. Mais la beauté, ça se respecte. Il répète tout ce que je dis ou aie pu dire un jour – il a une mémoire d’éléphant – et j’ai l’impression parfois d’entendre un imbécile. A la longue : gênant. On a toujours tendance à se croire plus intelligent … D’un autre coté, cela fait travailler l’authentique humilité – nécessaire à l’entreprise créatrice. Néanmoins le plus étrange, et même inquiétant, est qu’il m’arrive d’avoir de véritables dialogues avec lui, c’est-à-dire avec moi – des paroles prononcées un jour, une semaine, un mois auparavant ( car il m’arrive souvent de parler tout haut ) ou celles d’amis de passage, surtout des amis imaginaires ; il articule ces phrases au hasard, de manière surréaliste, cela tombe souvent juste, et j’ai parfois – pas souvent je l’avoue – le sentiment de parler avec quelqu’un de choses fort sensées, ou du moins intéressantes. N’est-ce pas Wittgenstein qui disait que tout énoncé ressemble à un coup de dés … Le malheur est que l’on joue aussi ainsi les uns avec les autres – quelle mise à vrai dire ? le silence est-il une vertu d’avarice ou l’annonce riche d’une richesse plus grande encore ? je botte en touche, au hasard … En Syrie, inexterminablement plombés devant un château qui leur résistait, des chrétiens chevaliers inventèrent ce jeu de dés pour passer le temps, az-zarh en arabe ; et d’effet, c’est ce que nous faisons tous devant le château que nous sommes à nous-même, les uns pour les autres, nous lançant – enfin quelque chose ou quelqu’un lance – quelques miettes cubiques dans la bouche du Verbe premier … Un abîme béant avec une petite tête rose de serpent qui y frétille – le plus bel animal qui ait jamais été, tout luisant encore des caresses divines. Mais le hasard n’est aussi longtemps que nous avons un goût de puzzle sur la langue. C’est d’ailleurs certaines de ces « discussions » qui me donnent des idées-de-romans, de l’écrivaille qui vaille – standard. Si je ne vaille, je baille. Je vais placer son perchoir devant les portes-fenêtres bien ouvertes, il écoute le bruit de la rue trois étages plus bas, il regarde les arbres lunaires à ce que je pense être le sol du balcon, la bibliothèque et absorbé dans cette contemplation, il semble atteindre à une impériale ataraxie pleine d’immobilité nouée dans le drap multicolore d’un songe silencieux : et surtout pendant ce temps, il me fiche la paix. J’écoute Fantaisie en Rondeau de Sainte-Colombe Le Fils, il y ajoute un long sifflement tremblé et sombre qui a un goût d’ile lointaine sous un orage de plomb rouge – il a du talon, il fait mu-muse.


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